Les faces cachées du Sinaï

Publié le par Adriana Evangelizt

Voilà donc un article fort intéressant sur le Sinaï... où l'on apprend que  la  CIA  y pratique des interrogatoires musclés et que ce sont les israéliens qui y font la loi... alors les attentats dans le Sinaï, pas de problème, on sait d'où ça vient. Tout comme quand on entend que c'est Al Qaïda. Manipulation et manoeuvre. Mais malgré tout, à chaque fois, le gouvernement Egyptien nous fait croire que ce sont des bédouins qui ont fait le coup.

Les faces cachées du Sinaï

par Cécile Hennion

Site touristique mondialement couru et lieu de villégiature naguère privilégié des Israéliens, le Sinaï serait-il devenu un bastion djihadiste ? Pour l'Etat juif, c'est désormais une certitude et ses ressortissants sont fortement dissuadés d'aller y séjourner. Les attentats de Dahab – 23 morts le 24 avril –, précédés de ceux de Taba – 34 morts le 7 octobre 2004 –, et de Charm el-Cheikh – au moins 70 morts le 23 juillet 2005 – rappellent à s'y méprendre ceux d'Al-Qaida.

Chaque fois, trois voitures ont explosé simultanément. En décembre 2005, le commandement israélien pour la lutte antiterroriste explicitait sa position : "Le Sinaï contient trois types d'organisations terroristes : des cellules d'Al-Qaida, des cellules liées à des organisations palestiniennes et des cellules locales d'islamistes égyptiens recrutant leurs membres parmi des Bédouins du Sinaï."

La péninsule égyptienne possède le relief idéal à toutes les activités illégales : sommets vertigineux, canyons, grottes et vallées encastrées. Nombreux sont les voyageurs tombés amoureux de ces paysages lunaires. "Le théâtre des grandes scènes que raconte l'Exode, écrit Alexandre Dumas en 1830. Devant cette nature muette, nue et désolée, où pas une végétation ne perce entre les roches stériles, les Israélites durent comprendre qu'ils n'avaient de secours à attendre que du ciel, et d'espérance à mettre qu'en Dieu." Aujourd'hui encore, sur ces terres ingrates, Dieu reste l'espoir principal des habitants, des Bédouins sédentarisés pour la plupart. Pour le gouvernement égyptien, pas question d'Al-Qaida ici, même s'il vient de reconnaître la présence de djihadistes dans le Sinaï. Les attentats sont l'œuvre "de bandes de Bédouins terroristes" qu'il faut éradiquer.

Le général Yehya Agami est un fin connaisseur des lieux. En 1973, il dirigeait une unité d'élite et se targue d'avoir tué le dernier Israélien du Sinaï, une demi-heure avant le cessez-le-feu. "Les Bédouins ne sont pas fiables", affirme-t-il. Selon le cliché, ce ne sont que bandits, corruptibles à merci. "En 1973, le commandement m'en avait accolé deux, soi-disant 'de confiance', raconte le général. Ils m'ont prié de les attendre dix minutes. Je les attends toujours ! Avant que l'Etat ne démine et nettoie le Sinaï, poursuit-il, les Bédouins ont emmagasiné armes et explosifs. Ils sont méfiants."

Le Sinaï garde les stigmates des guerres israélo-égyptiennes de 1967 et 1973, puis de l'occupation israélienne qui a duré jusqu'en 1982. Les dépouilles de cinq soldats égyptiens, tués en 1967, y ont encore été retrouvées en 2005. Et les Bédouines se souviennent avoir longtemps étendu leur linge entre les canons rouillés de tanks abandonnés. "Quand ils ont des problèmes, poursuit le général, ils savent comment passer en Israël. Les chefs des tribus, eux, cherchent à entretenir de bons rapports avec le gouvernement égyptien et peuvent être considérés comme des agents du Caire. Ces gens, qui veulent juste être tranquilles, sont capables de n'importe quoi pour un peu d'argent. Leur situation économique, déplorable, repose en partie sur la culture des drogues."

Mohamed Abou Manoum, le cheikh de Bir Lehfen est en tout cas la preuve vivante que la culture bédouine demeure forte. Propriétaire de la plus grande maison du village, l'homme dort dehors, devant sa porte, malgré les nuits glaciales. Le vieux Wafi, lui, appartient aux 4000 Bédouins restés nomades. Sa "maison de cheveux" est une tente en peau de mouton, coiffée de plantes poilues. Depuis que "la vie est devenue trop chère", il a vendu ses dromadaires et survit de l'élevage de chèvres. Au souvenir des chamelles, son visage buriné s'illumine : "Leur lait recueilli tiède, à la mamelle est un nectar délicieux qui rend très fort. Ceux qui le boivent peuvent déchirer un être humain à mains nues! Il y a vingt ans, raconte-t-il, des étrangers m'ont demandé du lait de chamelle. Les pauvres ignorants! Je n'avais que des mâles !"

"Le gagne-pain est affaire de Dieu", philosophe Aïd Attiya. Originaire de Nuweba, les yeux cernés de khôl, l'homme paraît bien plus que ses 65 ans. Depuis les attentats de Taba et de Charm el-Cheikh, le revenu des Bédouins du Sud – les safaris touristiques – a périclité : autorisation préalable de la police, multiplication des barrages, interdiction de dormir dans le désert… "Un drame économique, soupire le vieux, mais nous avons nos combines pour faire entrer qui nous voulons, aussi longtemps que nous le voulons." Y compris des djihadistes ? Peut-être. L'opération n'est guère compliquée.

Rendez-vous sur une route, avant un barrage policier. Trois dromadaires nous attendent. Une courte nuit a suffi à la tribu pour nous organiser la caravane, cuistot compris. L'évocation d'une source de revenus plus rentable, liée aux cultures illicites, panique Aïd : "Si je vous emmène là-bas, les cultivateurs me tueront, vous tueront et éparpilleront nos cendres dans le désert! De toute façon, je vous parie un milliard de dollars que vous ne trouverez pas de bango à des dizaines de kilomètres à la ronde." Pari perdu d'avance.

A Dahab, cité balnéaire fréquentée par les hippies-techno, le bango s'échange à tous les coins de rue. Il est cultivé dans les wadis encastrés, où la police lance régulièrement des raids éradicateurs. Le général Ahmed Fouly, ancien garde du corps du président Sadate, n'oubliera jamais sa virée avec la brigade antidrogue, en 1996. "Les champs étaient situés au milieu de nulle part, raconte-t-il, en brandissant une photo de lui, souriant entouré de fleurs de pavot. Seuls des hélicoptères peuvent y accéder." Le succès n'est pas garanti. Le 24 novembre 2004, un hélicoptère de la brigade aurait été abattu par des tirs sur le mont Lebni.

Les Bédouins savent où sont ces champs mais, pour maintenir la paix entre tribus, les hors-la-loi sont ignorés. Beaucoup fument et vendent de l'herbe, mais personne ne fricote avec les caïds des montagnes. Emmener un étranger voir les cultures est passible de la peine de mort. Isolés dans leurs vallées encaissées, les cultivateurs se nourrissent notamment de cigognes. Les nombreuses têtes d'oiseau jonchant le sol prouvent qu'ils ont le tir précis. Aïd Attiya finira par accepter de montrer, de loin, des champs en contrebas du Wadi Watir. Bien sûr, ces zones incontrôlables profitent aussi aux trafics d'armes et d'immigrées, Chinoises ou Russes,"passées" d'Israël en Egypte grâce à d'autres Bédouins nomades, à travers le désert du Néguev.

Le fusil appartient à la culture tribale. Il y a trois ans, l'agression d'une femme de la tribu Azazma par la tribu Taïha se solda par plusieurs morts et la fuite des Azazma en Israël. Nakhil, au cœur du Sinaï, possède 5 000 habitants et deux chauffeurs de taxi : Hassan et Akram. Pour une raison que tout le monde a oubliée, ces deux-là se vouent une haine mortelle. Hassan ne prend jamais son taxi sans ses trois fils et son fusil. Les vallées environnantes résonnent régulièrement de coups de feu. L'unique hôtel de Nakhil, Charq al-Awsat, est réservé à une clientèle spéciale : princes arabes et autres richissimes du Golfe viennent y chasser le renard, la gazelle, le lièvre et même le hibou. C'est aussi ici qu'ont été démantelées deux cellules islamistes fréquentant la mosquée Tawahid. "La présence de salafistes est indéniable, reconnaît le général Agami. Ils se cachent dans l'imprenable djebel Halal et à Maghara. Ce sont des Arabes d'El-Arich que des Bédouins aident en échange d'argent."

Selon Achraf Ayoub, candidat malheureux du parti Tagammou (gauche marxisante) aux dernières législatives, "ces groupes ont profité de la situation en Palestine, au début de la deuxième Intifada. Prétextant un soutien aux Palestiniens, ils ont diffusé des prêches de plus en plus radicaux. Le salafisme s'est propagé dans la ville". Un groupe, contacté par Le Monde, refusera d'en parler.

El-Arich, ville marchande de 100 000 habitants, au bord de la Méditerranée, est la capitale du Sinaï Nord. Proche de Rafah, la ville-frontière de Gaza, la cité possède une identité plus ottomane qu'égyptienne. Des familles revendiquent des aïeux turcs et bosniaques. Les Palestiniens, réfugiés de 1948, y sont nombreux. Les autres se revendiquent Egyptiens. En 1968, alors que le général israélien Moshé Dayan leur "offrait" l'indépendance, cheikh Salem Al-Herch lui aurait rétorqué : "Vous êtes des occupants, vous ne possédez pas un grain de sable du Sinaï. Cette terre est égyptienne."

Aujourd'hui, selon Achraf Ayoub, le gouvernement traite la péninsule "de façon raciste. Nous refusons d'être les Kurdes d'Egypte ! [Le président] Moubarak a profité du Sud en y bâtissant des hôtels et des palais à Charm el-Cheikh. Mais il soumet le Nord à la discrimination. La densité de la population ne dépasse pas 2 habitants au km², mais le chômage frappe entre 25 % et 30 % d'entre nous. Nous n'avons pas droit de posséder nos terres. Le Sinaï et ses puits appartiennent au gouvernement. Il n'existe pas une seule université. Nous sommes dépourvus de tout, y compris de l'essentiel : l'eau."

La péninsule est soumise à la sécheresse depuis douze ans. El-Arich ne reçoit qu'une heure d'eau potable par jour. Le reste du temps, l'eau est salée. A l'entrée du quartier Sagha, un tuyau émerge de la boutique du cordonnier et pendouille. Hagg Idriss veille là toute la journée : quand le tuyau goutte, alerte générale : "Aux bidons ! Aux bidons !" crie-t-il. "Nous vivons comme des animaux, peste-t-il. Nos enfants se lavent dans un gobelet. A la mosquée, il n'y a pas d'eau pour nos ablutions. Le tuyau peut rester sec pendant deux semaines." Selon le docteur Mamdouh Gouda, médecin dans le plus grand hôpital du Sinaï, "il y a deux fois plus de malades au Sinaï nord qu'ailleurs. Les bébés naissent malades. 70 % de mes patients souffrent de calculs et d' insuffisance rénale. Cela exige des traitements lourds, incompatibles avec les grossesses. J'ai dû prescrire des avortements – un drame dans notre société."

Les frustrations d'El-Arich ont fini par se muer en colère contre le fleuron de l'économie égyptienne, Sinai Ciment, construite à 60 km de là. L'usine ultramoderne emploie 3 500 personnes – toutes venues du continent– et dispose de son propre système d'eau potable auquel Bagdad, le bled mitoyen, n'a pas droit. "Nous sommes des bâtisseurs de paix, déclare Hassan Rateb, le patron-actionnaire (15 %), par ailleurs grand ami de Gamal Moubarak, le fils du raïs. Nous voulons créer une vie noble au Sinaï en le développant." M. Rateb possède aussi Sama El-Arich, région à vocation touristique. Il promet de construire une université. A El-Arich, personne n'y croit. La cimenterie est accusée de vendre son ciment blanc à Israël, ce que nie son propriétaire.

Depuis les attentats de Taba, la colère s'est exacerbée et vise le gouvernement. A El-Arich et à Nakhil, les forces de l'ordre ont emprisonné 3 500 personnes, les familles restant plusieurs mois sans nouvelle de leurs proches. Interrogatoires et tortures – en présence de la CIA, selon une source sécuritaire du Sinaï – sont décrites dans toute leur horreur par les nombreux témoins libérés. "Les attentats de Taba étaient peut-être l'œuvre d'islamistes, estime le général Fouly. Le phénomène a été alimenté par toutes ces arrestations qui font honte à notre pays et multiplient les ennemis du régime. Les Bédouins ne supportent pas qu'on touche à leurs femmes. Or beaucoup d'entre elles ont été malmenées. La police aurait dû négocier avec les chefs des tribus qui, seuls, excercent un pouvoir sur les Bédouins."

Après les attentats de Charm el-Cheikh, les arrestations ont repris, provoquant un profond traumatisme et des manifestations massives. La réplique a été sévère. Lors des législatives, le 7 décembre, El-Arich a été bouclé, envahi de gaz lacrymogène et de blindés. "Les gens ont paniqué, explique Achraf Ayoub, ils n'avaient pas vu ça depuis la guerre. El-Arich est devenu une caserne." Abdel Rahman Chourbagui, candidat des Frères musulmans rapporte que son fils de 17 ans "a été interrogé pendant dix jours, alors qu'il est sourd-muet ! Raed Mallouh, un de mes supporteurs, poursuit-il, a été torturé à l'électricité. Où ont été fabriqués ces appareils de torture ? Pourquoi la CIA participe-t-elle aux interrogatoires ? Pourquoi l'Egypte accepte-t-elle une telle ingérence ?"

"Depuis les accords de Camp David [1979], déplore Achraf Ayoub, le Sinaï évolue au gré de la volonté israélienne. Au fond, Israël a gagné la guerre, le Sinaï n'est toujours pas libéré." La colère et l'esprit de vengeance gronde.

Dans le vieux souk touristique de Charm el-Cheikh, un ouvrier observe la façade du centre commercial, réduit en miettes l'été dernier et aujourd'hui flambant neuf. Plusieurs de ses collègues avaient péri lors de l'explosion. Pourtant, maugrée-t-il, "j'aimerais bien que quelqu'un le fasse sauter à nouveau." Pourquoi ? "Parce que j'y trime comme un esclave pour un salaire de merde."

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

 

Publié dans MOSSAD EN EGYPTE

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